Poèmes de V Hugo

Mes deux filles

Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe,

L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe,

Belles, et toutes deux joyeuses, ô douceur !

Voyez, la grande soeur et la petite soeur

Sont assises au seuil du jardin, et sur elles

Un bouquet d'oeillets blancs aux longues tiges frêles,

Dans une urne de marbre agité par le vent,

Se penche, et les regarde, immobile et vivant,

Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase,

Un vol de papillons arrêté dans l'extase.

Victor Hugo, « Les Contemplations », juin 1842

En mp3

http://www.litteratureaudio.org/mp3/Victor_Hugo_-_Les_Contemplations_L01_03_Mes_deux_filles.mp3

Demain, dès l'aube...

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,

Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.

J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.

Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,

Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo, extrait des Contemplations, 1856

Adaptation

https://www.youtube.com/watch?v=SGLv4XoiLo8

Traduction en espagnol

Mañana, al alba

Mañana, al alba, cuando clarea la campaña,

Partiré. Lo ves, sé que me esperas.

Iré por el bosque, iré por la montaña.

Ya no puedo vivir lejos de ti mucho tiempo.

Caminaré con los ojos firmes en mis pensamientos,

Sin ver nada más, sin escuchar ningún ruido,

Solo desconocido, el dorso encorvado, las manos cruzadas,

Triste, y el día será para mi como la noche.

No miraré ni el oro de la tarde que cae,

Ni las velas a lo lejos descendiendo hacia Harfleur,

Y cuando llegue, pondré sobre la tumba

Un ramo de acebo verde y de brezo en flor.

VICTOR HUGO, poema a su hija Léopoldine (1856)

Traduit du français en espagnol par Victor Omar Alvarado Rosas.

Traduction en anglais

Tomorrow, at dawn, in the hour when the countryside becomes white,

I will leave. You see, I know that you are waiting for me.

I will go by the forest, I will go by the mountain.

I cannot stay far from you any longer.

I will walk eyes fixed on my thoughts,

Without seeing anything outside, nor hearing any noise,

Alone, unknown, the back curved, the hands crossed,

Sad, and the day for me will be like the night.

I will not look at the gold of the evening which falls,

Nor the faraway sails descending towards Harfleur.

And when I arrive, I will put on your tomb

A green bouquet of holly and flowering heather.

Melancholia

(extrait)

... Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?

Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?

Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?

Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules

Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement

Dans la même prison le même mouvement.

Accroupis sous les dents d'une machine sombre,

Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,

Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,

Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.

Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue. [...]

Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,

Qui produit la richesse en créant la misère,

Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil ![...]

Que ce travail, haï des mères, soit maudit !

Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,

Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !

Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,

Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,

Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

Victor Hugo, extrait des Contemplations, 1838